Retour de Syrie et Jordanie
Nous quittons Istanbul de nuit après une course-poursuite en taxi, direction Antakya ( Antioche ) d’où nous comptons prendre un car pour Damas. Bien évidemment, le lendemain, nous apprenons que le dernier bus est parti deux heures avant notre arrivée. C’est donc pour nous l’occasion de re-visiter la vieille ville d’Antakya et son somptueux musée des mosaïques, avant de nous glisser, harassés, dans les draps sales d’un hôtel de passe à 3 euros la nuit. Le lendemain, dans le car qui nous conduit en terre syrienne, je commence à angoisser de me retrouver à nouveau plongé dans ce beau pays le liberté et de tolérance qu’est la Syrie. Et j’ai bien tord : Damas n’a rien de comparable avec ce que nous avions déjà pu voir. Ici, pas (ou peu) d’agressivité, et le voile « gant de toilette » n’est pas de mise. Rompu aux turquerie, je m’étonne du flegme des commerçants, qui nous gratifient d’un « Salam » bienveillant quand nous rentrons dans leur magasin, avant de nous laisser vaquer à nos occupations ( « Eh bâtard, ça t’arracherait la gueule de me racoler un peu ? »). La vieille ville de Damas est somptueuse, et nous passons deux jours à tourner dans les rues tout droit sorties des Mille et unes nuits autour des souks. Nous nous arrêtons à la mosquée des Omeyyades, qui décevra au plus haut point le voyageur en quête de barbus fanatiques et d’intransigeance dogmatique : ici, les enfants jouent au foot, les papys dorment sur les tapis de prière, les gros moustachus discutent à voix haute ; c’est tout juste si des couples illégitimes ne s’envoient pas en l’air à côté du mihrab… Puis visite du mausolée de Saladin, celui-qui-l’a-mis-profond-aux-croisés, star locale ( après bien sûr ce bon vieux président de la République Arabe Syrienne, dont le faciès si charismatique et le regard si franc s’étale partout à travers le pays).
A la suite de quoi nous prenons un taxi collectif pour opérer la liaison Damas-Amman. Et là, nous avons vraiment de la chance, nous tombons sur une Suisse-allemande convertie à l’islam qui nous raconte plein de trucs passionnants ( Le saviez-vous : les Juifs mettent du sang d’enfants musulmans dans leur pain…). 3 h 30 de pur bonheur.
Nous ne nous attardons pas à Amman ( qui n’a pas grand intérêt) et prenons un bus direction Madaba, d’où nous rayonnons ensuite alentours sur les traces des héros de la Bible. Du haut du mont Nébo, nous observons, tels Moïse, la Terre promise ( en l’occurrence, doublement promise par ces cons de rosbeef, puisque devant nous s’étend la ville de Jéricho ). Et là, j’ai beau être un sans-dieu bouffeur de curé à mes heures, j’ai des petits guilis dans le ventre. En pleine crise mystico-existentielle, le Roudou se croit obligé d’allumer un cierge dans les ruines d’une basilique byzantine. Juste au cas où, on ne sait jamais. Puis direction, le « site du baptême », là où JC aurait été arrosé de l’eau du Joudain par son copain saint Jean-Baptiste. Stupeur : le Jourdain est en fait une petite rivière de rien du tout, loin du fleuve majestueux que j’avais fantasmé. La faute à ces chafouins d’Israéliens, prompts à détourner une grosse partie du fleuve en amont. Nous sommes à 5 mètres de l’Etat hébreux, dont le drapeau monoétoilé flotte au vent sur l’autre berge. Dire qu’il y a quelques années, ce petit coin de paradis était accaparé par les bas-de-front en uniforme. C’est quand même bien la paix.
Pour finir la journée en beauté, escapade à la mort morte, bain de boue et baignade rapide dans une eau au taux de salinité 6 fois plus élevé que la normale. Dire qu’on flotte est un doux euphémisme.
Le lendemain, nous décidons de descendre la route du Roi en transport en commun. Mission périlleuse. En fait, la Jordanie est organisée selon un axe nord-sud ( ou l’inverse, ça dépend comment on se place). 3 axes routiers traversent le désert de part en part, d’Amman à la frontière saoudienne. La route du Roi, la plus vétuste, la plus sinueuse, mais la plus belle est ainsi désertée au profit des autres voies à grande vitesse. Pour parcourir les 150 km qui nous séparent de Dana, nous nous levons à 5 heures du mat’ ; dire que j’avais la tête dans le cul serait inexacte, je pense qu’elle était remontée jusqu’à l’œsophage ! Après X changements de véhicules et la traversée de vallées magiques, nous arrivons à 14 heures à Dana, minuscule village de pierre niché au sommet d’un canyon classé parc naturel ( la Jordanie compte ainsi plusieurs dizaines de parcs naturels jalousement protégés). Et ce qui devait être une étape d’une nuit au Dana tower hotel s’est transformé en un séjour réparateur de 3 jours dans un cadre somptueux, où nous avons alterné entre randonnée dans le canyon et discussions à bâtons rompus avec Nabil, propriétaire de la pension, son neveu Hamzi, et quelques-uns de ses neuf frangins. Des gens adorables, à l’image du peuple jordanie.
Après ce petit break, nous prenons la route de Pétra, passage obligé de tout bon touriste mettant le pied sur le sol jordanien. La cité nabatéenne, sculptée à même la roche, s’étend sur des dizaines de kilomètres-carrés. Impressionnant. Ces gars-là ne devaient pas être des manchots. Nous faisons la visite avec un Américain en volontariat en Jordanie, qui parle plus ou moins couramment l’arabe et connaît bien le site, ce qui nous permet de l’aborder par les petits sentiers des montagnes ( fait chaud !). Nous comptions étaler la visite sur deux jours, mais une occaz en or se présente à nous : Mike, un pote de notre désormais pote, volontaire comme lui, part le lendemain pour le Wadi-Rum avec une (sa) copine, où il a un plan pour dormir dans le désert sous tente bédouine. Let’s go comme on dit en américain.
Les deux jours qui suivirent furent géniaux. A n’en pas douter, mon meilleur souvenir du séjour. Trip de 5 h à l’arrière d’un pick-up défoncée dans une immensité sableuse percée çà et là de barres rocheuse plantée à angles droit. Sable rouge, sable blanc, sable noir. Soleil partout. Génialissime. Après une sieste à l’ombre d’un bloc de pierre « tagué » par des tribus arabes pré-islamiques, nous escaladons un promontoire rocheux. A la clé, un magnifique coucher de soleil. Waouh. Puis repas au coin du feu, et dodo à la belle étoile ; belle étoile, c’est d’ailleurs le cas de le dire, puisque dans ce no man’s land, à cent lieues des lumières de la ville, le ciel brille de mille feus.
Le lendemain, Morgane et moi disons adieu à nos amis américains open-minded ( je savais pas que ça existait), pour monter dans un bus pour Aqaba, la ville jordanienne le plus au sud, sur la mer rouge, à une poignée de kilomètre de l’Arabie Saoudite. Là encore, nous nous éternisons sur place, mais en même temps on n’a pas trop envie de quitter ce pays qu’on aime tant. Morgane verse dans la plongée sous-marine (son dada), tandis que moi, muni de mon masque, mon tuba, ma bouée-canard et mes brassières, je pars à la découverte du monde multicolore de la barrière de corail, en choppant l’air de rien les pires coups de soleil de ma vie… Là encore, vision saisissante : à ma gauche, l’Arabie Saoudite. Devant moi, l’Egypte, et les contreforts du Sinaï. Légèrement à droite, Elat, station balnéaire prout-prout d’Israël. Comment a-t-on pu se foutre sur la gueule dans un paysage si beau ?
Puis c’est le retour. Aqaba-Istanbul. 50 heures à la louche, 10 moyens de transport, deux jours sans enlever mes chaussures… Passablement sur les genoux, une idée me taraude : quand vais-je retourner dans ce pays si doux où j’ai passé deux semaines d’extase ?